Déshériter un enfant : est-ce possible ?
- avocats au Barreau de Paris | Publié le

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En France, l'idée de "déshériter" un héritier est souvent mal comprise. Le droit français des successions repose sur des principes protecteurs, notamment celui de la réserve héréditaire, qui limite considérablement la liberté de chacun de disposer de ses biens comme il l'entend après son décès. Alors, est-il vraiment possible de priver un héritier de sa part ? La réponse est nuancée.

Le mécanisme de la réserve héréditaire

Qu'est-ce que la réserve héréditaire ?

La réserve héréditaire est une part du patrimoine du défunt dont la loi assure la dévolution à certains héritiers, dits "héritiers réservataires". Il s'agit d'une protection légale destinée à garantir un minimum aux membres de la famille les plus proches.

En France, les héritiers réservataires sont les enfants et leurs descendants s'ils sont eux-mêmes décédés ou renonçant, à défaut d'enfants, le conjoint survivant sous certaines conditions.

On ne peut pas en priver un héritier réservataire par un testament ou une donation, sauf cas exceptionnels.

Calcul de la réserve héréditaire et de la quotité disponible

La réserve héréditaire n'est pas fixe, elle varie en fonction du nombre d'enfants. La partie du patrimoine qui n'est pas comprise dans la réserve héréditaire est appelée quotité disponible. C'est sur cette quotité que le défunt peut librement disposer, par donation ou testament, au profit de n'importe quelle personne (un autre héritier, un ami, une association, etc.).

  • En présence d'un seul enfant :
    • La réserve héréditaire de l'enfant est de la moitié des biens.
    • La quotité disponible est également de la moitié des biens.

Exemple : Si un défunt laisse un patrimoine de 200 000 € et un seul enfant, cet enfant aura droit à une réserve de 100 000 €. Les 100 000 € restants constituent la quotité disponible, dont le défunt aurait pu disposer librement.

  • En présence de deux enfants :
    • La réserve héréditaire des enfants est de deux tiers des biens (soit un tiers chacun).
    • La quotité disponible est d'un tiers des biens.
  • En présence de trois enfants ou plus :
    • La réserve héréditaire des enfants est de trois quarts des biens.
    • La quotité disponible est d'un quart des biens.

Si le défunt ne laisse pas d'enfants, mais un conjoint survivant, la réserve de ce dernier est d'un quart du patrimoine. Les trois quarts restants constituent alors la quotité disponible.

Comment réduire la part d'un héritier ?

Puisqu'il est difficile de priver un héritier réservataire de sa part légale, les stratégies pour réduire sa part passent généralement par l'utilisation de la quotité disponible ou, dans des situations extrêmes, par l'exclusion pour indignité.

La quotité disponible est le moyen le plus courant d'avantager un héritier par rapport à un autre, ou de gratifier une personne extérieure à la famille. Le défunt peut, par un testament ou une donation, attribuer la totalité de la quotité disponible à la personne de son choix.

Exemple : Un père de deux enfants dispose d'une quotité disponible d'un tiers de son patrimoine. Par testament, il peut léguer ce tiers à l'un de ses enfants, à un neveu, ou même à une œuvre caritative. Les deux enfants recevront alors leur part de la réserve (un tiers chacun), mais l'un d'eux aura en plus le bénéfice de la quotité disponible.

Les donations et les testaments sont les outils juridiques pour organiser sa succession.

Il existe deux types de donations :

  • Les donations en avancement de part successorale (anciennement appelées "en avancement d'hoirie") : Elles sont présumées être un acompte sur la future part d'héritage de l'héritier. Au moment de la succession, la valeur de cette donation est ajoutée fictivement au patrimoine pour le calcul des parts, puis déduite de la part de l'héritier donataire. L'objectif est de maintenir l'égalité entre les héritiers.
  • Les donations hors part successorale (anciennement appelées "par préciput et hors part") : Elles sont imputées sur la quotité disponible et ont pour but d'avantager un héritier par rapport aux autres. Si la valeur de la donation dépasse la quotité disponible, l'héritier devra "indemniser" les autres héritiers (on parle de "réduction") pour ne pas empiéter sur leur réserve.

Le testament est le moyen privilégié pour exprimer ses dernières volontés. Il doit impérativement respecter la réserve héréditaire. Un testament qui empiéterait sur la réserve d'un héritier serait susceptible d'être contesté et verrait ses dispositions réduites à la quotité disponible.

Qu’est-ce que l'indignité successorale ?

L'indignité successorale est le seul cas où un héritier, même réservataire, peut être privé de tous ses droits dans la succession. Il s'agit d'une sanction civile très rare et prononcée par la justice en raison de comportements graves de l'héritier envers le défunt.

La loi prévoit des causes automatiques d'indignité c'est-à-dire qui n'ont pas besoin d'être prononcées par un juge :

  • Avoir été condamné comme auteur ou complice à une peine criminelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
  • Avoir été condamné comme auteur ou complice à une peine criminelle pour avoir volontairement porté des coups ou commis des violences ou voies de fait ayant entraîné la mort du défunt sans intention de la donner.

Il existe également des causes facultatives d'indignité qui doivent être demandées en justice par un autre héritier :

  • Avoir été condamné à une peine correctionnelle pour avoir volontairement donné ou tenté de donner la mort au défunt.
  • Avoir dénoncé calomnieusement le défunt.
  • Avoir commis des violences sur le défunt ayant entraîné une incapacité de travail.
  • Avoir privé le défunt de ses droits d'héritier (par exemple, en le forçant à changer son testament).
  • Avoir été condamné pour non-assistance à personne en péril sur le défunt.

Exemple : Un enfant qui a commis des violences graves et répétées sur son parent décédé, ayant conduit à une condamnation pénale, pourrait être déclaré indigne par un tribunal saisi par les autres héritiers.

L'héritier déclaré indigne est exclu de la succession comme s'il n'avait jamais existé. Toutefois, ses propres descendants (les petits-enfants du défunt) ne sont pas affectés par l'indignité et peuvent représenter leur parent dans la succession.

Ce qu'il faut retenir pour préparer sa succession

Il est crucial de comprendre que le droit français des successions est conçu pour protéger certains héritiers. Il est donc difficile de "déshériter" au sens strict du terme en France, sauf dans des situations extrêmes d'indignité prononcée par un juge.

La véritable marge de manœuvre réside dans l'utilisation de la quotité disponible, qui permet d'avantager certains héritiers ou des tiers. La manière la plus efficace d'organiser sa succession et d'exprimer ses volontés, dans les limites de la loi, est de recourir à un testament et, éventuellement, à des donations de son vivant.

En résumé, si la notion de "déshéritement total" est quasi inexistante en droit français, il existe des outils pour organiser sa succession et influencer la répartition des biens, en privilégiant certains ou en réduisant la part d'autres, toujours dans le respect des droits des héritiers réservataires.