Peut-on déshériter son conjoint ?
- avocats au Barreau de Paris | Publié le

Il n’est pas rare qu’après plusieurs années de mariage, des conflits commencent à survenir au sein du couple. Certaines disputes peuvent même aller jusqu’à la séparation des conjoints. Il est alors tout à fait normal pour l’un de vouloir réduire au maximum la part d’héritage de l’autre, pouvant même aller jusqu’à vouloir le déshériter complètement. Mais est-ce possible ? Le droit français prohibe cette action concernant les enfants cependant, en est-il de même pour l’époux ? Peut-on déshériter son conjoint ?

La réponse à cette question est à nuancer. Elle va dépendre de plusieurs facteurs, notamment la naissance ou l’absence d’enfants au sein du ménage ainsi que le régime matrimonial choisit par le couple.

Que signifie déshériter ?

Déshériter son époux signifie le priver de la part d’héritage à laquelle il a en principe droit dans la succession de son conjoint, en application des règles de succession prévues par la loi. Cette action nécessite une formalisation par un testament ou un jugement.

En l’absence de toute disposition, le notaire suivra l’ordre de dévolution successorale régi par les règles du Code civil et le conjoint héritera de son partenaire, sous conditions.

Pour déshériter, il est indispensable que le couple soit marié. Cette question ne pourra pas se poser concernant les concubins ou les couples pacsés qui doivent organiser leur succession par testament. Ils ne pourront pas déshériter leur conjoint sauf à changer leurs dispositions testamentaires puisqu’ils n’ont pas vocation à exhéréder.   

Qu’est-ce que la réserve héréditaire ?

La réserve héréditaire correspond à la part d’héritage dévolue aux héritiers qui ne peut leur être retirée. En d’autres termes, chaque héritier dit « réservataire » se verra automatiquement attribuer une partie de l’héritage du défunt à laquelle ne peuvent déroger ni la loi, ni des actes authentiques, c’est une disposition d’ordre public. Il n’est donc pas possible de déshériter un héritier réservataire (sauf indignité). Le défunt peut cependant disposer librement d’une partie de son héritage en prenant soin de ne pas entamer la réserve héréditaire : la quotité disponible.

Qui sont les héritiers réservataires ?

Les enfants sont des héritiers réservataires, et à défaut d’enfant, le conjoint.

Absence d’enfants au sein du couple

Si le couple est marié mais n’a pas d’enfant, l’époux survivant a la qualité d’héritier réservataire. La loi lui accorde donc au minimum ¼ de la succession (dans le cas où le défunt décide de léguer la quotité disponible à quelqu’un d’autre). Il n’est pas possible de déroger à cette règle.

Même si un des conjoints décidait de rédiger un testament et de léguer l’intégralité de ses biens à une personne tierce, le conjoint survivant aura toujours la possibilité d’introduire une procédure judiciaire afin de récupérer ce qui lui est dû.

En l’absence de testament, le Code civil distingue selon que les parents du défunt soient toujours en vie. Si les deux parents sont vivants, ils recevront la moitié de l’héritage et l’époux survivant la seconde. Si un des parents est décédé, le conjoint survivant recevra ¾ et le parent survivant ¼ de la succession.

La pire des situations, si vous souhaitez déshériter votre conjoint, serait que vos deux parents soient décédés. Dans ce cas, votre conjoint recevrait la totalité de votre succession (sauf droit de retour des biens familiaux aux frères et sœurs par donation préalable).

Il n’en demeure pas moins, comme indiqué précédemment, qu’il est possible de faire un testament afin de limiter la part du conjoint survivant à la réserve héréditaire, à savoir ¼.

Présence d’enfants au sein du couple

En présence d’enfants au sein du couple, le conjoint, même marié, n’est pas considéré comme un héritier réservataire.

Si le défunt ne rédige pas de testament pour déshériter son conjoint, ce dernier pourra choisir au moment de la liquidation de la succession entre ¼ en pleine propriété, ou la totalité en usufruit. La totalité en usufruit ne sera en revanche pas possible en présence d’enfant(s) d’un premier lit. Dans ce cas, le conjoint survivant n’aura pas le choix et recevra d’office ¼ de la succession en pleine propriété.

Nonobstant, si le défunt décide de léguer la quotité disponible, le conjoint survivant se trouvera déshérité sur tout ou partie et ne sera pas appelé à la succession.

Le défunt ne pourra pas non plus priver son partenaire du droit temporaire au logement lui permettant de rester dans l’habitation familiale pendant une durée d’un an après son décès. Comme c’est une disposition d’ordre public, le défunt ne peut pas l’en empêcher par testament.

L’importance du régime matrimonial

Le régime matrimonial choisit par le couple revêt une importance capitale dans la succession puisque le décès entraîne la liquidation du régime matrimonial.

Dans le cas où le couple est marié sous le régime de la communauté légale, la moitié des biens acquis en commun pendant le mariage seront transmis au conjoint survivant, qu’il y ait un testament ou non.

Si les conjoints ont choisi le régime de la communauté universelle, la moitié de tous les biens iront au conjoint survivant puisqu’ils ne possèdent pas de biens propres.

Enfin, comme son nom l’indique, le régime de la séparation des biens n’emporte pas de conséquence puisque les deux époux restent propriétaires de leurs biens propres sans qu’il y ait besoin d’un partage.

Séparation du couple

La volonté de déshériter son conjoint est souvent le fruit de l’envenimement d’une situation déjà douloureuse pour le couple. Cela peut en certaines occasions entrainer une séparation du couple en attendant le jugement définitif d’une procédure de divorce.

Il est possible pour les couples mariés d’établir une séparation de corps. Dans ce cas, les conjoints restent mariés mais décident de ne plus vivre ensemble. Si l'un des époux séparés de corps décède, l'époux survivant conserve les droits à la succession prévus par la loi. Toutefois, en cas de séparation de corps par consentement mutuel, la convention peut prévoir une renonciation des époux à leurs droits successoraux respectifs.

Même si vous êtes en instance de divorce, tant que le jugement définitif n’est pas prononcé, vous restez marié juridiquement avec votre conjoint. Cela a pour conséquence que votre conjoint a vocation à exhéréder. Le moyen le plus sûr de réduire au maximum ou totalement ses droits dans votre succession est de rédiger un testament les limitant, pendant la procédure de divorce. Lorsqu’il sera prononcé, votre ex-conjoint sera officiellement déshérité.