Votre parent, associé d’une Société civile professionnelle, vient de décéder et vous êtes appelé à sa succession. Ses associés vous refusent l’accès partiel ou total aux bénéfices. L’argument avancé serait qu’en votre qualité d’héritier, étranger à la société, vous n’avez pas contribué à leur survenance. Sont-ils dans leur droit de vous refuser le versement des dividendes ? Que deviennent les parts détenues par votre proche ?
Répondre à cette question appelle à des connaissances techniques et profondes impliquant la conjugaison de plusieurs règles.
S’agissant d’une Société civile professionnelle (SCP), il convient de préciser que la forme juridique relève du domaine des sociétés de personnes. Ces dernières étant frappées d’un fort intuitu personae, autrement dit, la personne de l’associé est d’une importance immense, les droits des héritiers font donc l’objet d’un fort encadrement.
Les ayants droit de l’associé se heurteront sûrement à la distinction opérée par les juges entre le titre et la finance. Cette scission, rappelée à l’article 24 alinéa 2 de la loi du 29 novembre 1966 n°66-879 (relative au SCP), leur ouvre droit à la valeur des parts sociales de l’associé décédé et, en principe, aux dividendes réalisés par la société (alinéa 4 de cet article 24 précité).
Toutefois, une réponse de principe ne saurait être donnée, puisqu’en réalité, tout dépendra de plusieurs facteurs. Entre autres, il faut déterminer si, lors de la constitution de la SCP ou postérieurement, les associés ont été ou non prévoyants en insérant des dispositions statutaires envisageant ce cas de figure.
Par ailleurs, il n’est pas certain que les héritiers puissent prétendre à la totalité des dividendes, car il convient d’envisager l’hypothèse d’une distribution réalisée au profit de l’associé lors de son vivant, de manière totale ou partielle. De même que l’assemblée générale régulièrement tenue peut avoir privé les successeurs de leur bénéfice au titre des exercices visés (Cass. Civ. 1ère 10 septembre 2015, n°14-15572).
Faites-vous assister d’un conseil habitué à connaître de ce genre de contentieux. Ce dernier saura trouver les arguments pour convaincre les juridictions compétentes et obtenir gain de cause.
Dans l’éventualité où les associés seraient d’accord pour vous octroyer des dividendes, encore faut-il en déterminer le montant.
Dans une affaire où la Cour de cassation a été appelée à se pencher sur une question similaire, elle a conclu que les héritiers pouvaient, sauf dispositions statutaires contraires, prétendre à la totalité des dividendes entre le décès et le moment de la cession ou du rachat des droits sociaux appartenant au défunt. Une telle décision leur ouvre le droit de réclamer des dividendes pouvant atteindre des sommes importantes en raison du nombre d’années écoulées et des chiffres réalisés par la société.
Or, il ressort d’une interprétation des termes de l’article 24 combinés à ceux de l’article 31 de la loi de 1966 que les ayants droit ne peuvent prétendre qu’à la valeur des titres détenus par l’associé décédé et qu’aux bénéfices réalisés sur une durée déterminée, à compter du décès (pouvant aller jusqu’à 18 mois).
Cette ambigüité a conduit à une question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la Cour de cassation (Cass. Civ. 1ère 9 décembre 2015, n°15-18771). Le demandeur, associé d’une SCP d’architectes, a fait valoir que l’article 24 alinéa 4 de la loi de 1966 était contraire au bloc de constitutionnalité. Selon lui, la rédaction de cet article tendait à une incompréhension quant aux droits devant revenir aux ayants droit et qu’elle portait atteinte aux droits des autres associés en autorisant ces derniers de la possibilité de percevoir des dividendes sans avoir participé à la réalisation des bénéfices de la société.
La QPC a été écartée par les juges de la haute Cour au motif qu’il résulte d’une jurisprudence constante que les successibles sont en droit de prétendre, sauf conventions contraires, à la totalité des dividendes réalisés entre la date de décès de l’associé et la date de cession ou de rachat des parts. Qu’une telle solution ne pouvait porter atteinte aux droits des associés puisqu’ils ne détenaient pas directement les bénéfices.
En effet, l’interposition de la société, personne morale, fait en sorte que c’est elle qui détient ces bénéfices et représente l’intérêt collectif. Ainsi, dans le cadre d’une SCP, les associés ne peuvent prétendre aux bénéfices qu’à hauteur de leurs apports initiaux, qu’ils aient ou non contribués à leur réalisation.
Premier remède pouvant être envisagé, le rachat des titres appartenant à l’associé décédé par la société elle-même en vue de leur annulation pouvant être imputé par une diminution du capital social. Ce qui permettra notamment de réduire le montant qui devra être versé aux ayants droit au titre des dividendes. Le seul point pouvant poser problème ? La réactivité de la société à proposer le rachat des parts et l’accord des héritiers.
Autre solution annoncée réservée par les juges, la rédaction d’une disposition statutaire conditionnant la perception des dividendes à la fourniture d’un travail en ce sens.
Que vous soyez associé de la SCP ou ayant droit, affronter seul une telle situation est compliqué.
Enfin, qu’en est-il du titre d’associé ? En raison de la distinction opérée entre le titre et la finance, les héritiers ne pouvant prétendre qu’à cette dernière, il faut savoir qu’ils peuvent également devenir associés sous certaines conditions. Pour ce faire, ils devront obtenir l’agrément des associés, verser une soulte aux autres héritiers qui n’ont pas souhaité en obtenir le titre.
Sources : Bulletin Joly Sociétés, 01 mars 2016 n° 3, Monsieur Bastien Brignon